Le premier mérite de ce Sommet a sans doute été de mettre en avant tout le savoir-faire des acteurs de l’IA en Europe et en France et de faire entrer l’IA dans les sujets de préoccupations du grand public, avec une médiatisation sans précédent de la thématique. Chaque secteur économique ou social a ainsi pu se l’approprier. Le milieu juridique n’est pas exempt, avec une cristallisation du sujet IA qui bouillonnait depuis quelques temps et surtout une appropriation qui lui permet d’avancer vers de nouveaux défis plus sereins.
Le droit peu représenté mais au centre des débats
Au milieu de toute cette effervescence, le droit était, à première vue, peu représenté, avec seulement six événements sur le couple droit & IA.
Longtemps même, les deux seuls événements annoncés, étaient un colloque sur le droit de l’IA que la professeure Alexandra Bensamoun (d’ailleurs membre du Comité interministériel de l’intelligence artificielle depuis 2023) a organisé en janvier sur « Protéger la voix et l’image des personnes à l’heure de l’IA » (CNIL, université Paris-Saclay et université de Caen Normandie), et une journée du laboratoire DANTE de l’université Paris Saclay intitulée « Droit et IA : perspective historique et défis contemporains ». S’est ajoutée pendant le sommet, une invitation à réfléchir sur « L’IA générative et droit d’auteur » de l’université Paris Dauphine, avec la professeure Céline Castets-Renard de l’Université d’Ottawa. C’était assez peu, même si les thématiques choisies étaient à la pointe des questions brulantes.
Le droit de l’IA s’est cependant vite retrouvé au sommet des sujets politiques, diplomatiques et médiatiques via le débat de la régulation/dérégulation, des droits d’auteur, de la place de l’UE, des textes nombreux et complexes, des régulateurs qui se multiplient, etc. Débat largement impacté par l’actualité présidentielle américaine et les prises de position des GAFAM et de la big tech US. Même quand l’angle des débats n’était pas le droit de l’IA, un moment régulation s’est quasiment toujours imposé. Le droit de l’IA a donc dépassé les juristes, traité au niveau politique et diplomatique. «L’IA est une technologie trop importante pour ne pas être bien régulée» a-t-on entendu dans l’évènement. De ce point de vue l’IA, c’est du droit.
Droit et IA : la grande transformation
L’écosystème juridique semblait donc, à première vue, peu investi sur le sommet, si ce n’est sur son domaine naturel, le droit de l’IA. Pourtant combiner les deux approches – droit de l’IA et droit & IA – se révèle clé et place l’écosystème légal, avec les technologies, au centre du jeu. Pour les professionnels du droit, parler de droit & IA permet de réfléchir à l’usage de l’IA et la transformation des métiers du droit qu’elle peut générer. En pratique, que va représenter l’IA pour les juristes d’entreprises, les magistrats, les avocats, les professeurs de droit, les legal ops, les chercheurs, les documentalistes juridiques, les legal tech, les knowledge managers ? Trois événements ont permis de prendre toute la mesure du phénomène et d’en parler tous ensemble, dont deux apparus tardivement dans le programme.
Le projet LARTI du laboratoire DANTE a abordé le « retentissement de l’entrée de l’IA dans nos modèles de recherches et d’enseignement en droit et en histoire du droit » : déontologie et droit, accès aux sources juridiques à l’épreuve de l’IA, transformation des métiers du droit par l’IA et son accompagnement par la formation des juristes, apport de l’IA dans l’émergence et la transmission des connaissances et de la culture juridique ouvertes à tous…
L’université Paris Panthéon Assas et Paris place de droit ont traité de « L’intelligence artificielle au service de la Justice » parlant largement des outils d’IA d’automatisation de tâches ou d’aide à la décision, recherchant les bénéfices pour l’accès à la justice et les compétences à développer pour les juristes de demain.
L’association française de philosophie du droit, avec le soutien de la Cour de Cassation et de l’ENS, en a rajouté avec « L’intelligence artificielle au service des professions du droit ». Directeurs juridiques, avocats, magistrats et représentant du Conseil Constitutionnel ont largement parlé de l’apport (possible) de l’IA à leur pratique. Stéphanie Smatt-Pinelli, directrice juridique France du groupe américain Broadcom a expliqué l’impact de l’IA sur la prise de décision juridique. Pierre-Benoît Pabot du Chatelard, associé de Clifford Chance, a développé les apports de la technologie sur le financement de projets. Margot Sève, counsel chez Skadden Arps, a détaillé ceux sur la compliance. Tous ces débats se répondaient et rendaient l’IA concrète avec des démonstrations d’outils. Grâce à ces temps d’échanges, on a découvert comment les magistrats ou le Conseil Constitutionnel étaient très avancés –et volontaristes- sur l’intégration de l’IA dans leur pratique professionnelle, autant que les avocats et les entreprises. On a pu mesurer quelles pratiques professionnelles sont transformées et comment.
Enfin, l’Ordre des avocats parisiens a choisi d’aller au-delà de l’écosystème du droit pour parler de l’IA et des défis pour la démocratie et les droits fondamentaux. Ont été abordés le risque de la désinformation de masse, la manipulation électorale, la partialité judiciaire, la protection des données, la domination des big tech, l’utilisation de l’IA par les États non démocratiques… Des débats surtout orientés vers la place de l’avocat dans la société transformée par l’IA. Déjà une ouverture vers demain.
Quant aux legaltech et au projet fédérateur de l’écosystème juridique de Legal Data Space (LJA 1658), ils étaient au « business Day » à Station F, au Grand Palais (où certaines legaltech ont été très remarquées), aux événements du Groupement français de l’industrie de l’information (gf2i), à discuter IA et droits humains avec l’iDFRights, à signer des tribunes sur l’appel à la data et la différenciation possible dans les conditions d’accès et de partage des données…
L’écosystème juridique était donc partout et orienté vers les mêmes problématiques. Non plus dans l’opposition ou la simple concurrence.