Retour d’expérience sur le rôle de l’IA dans la lutte contre la fraude


Retour d’expérience sur le rôle de l’IA dans la lutte contre la fraude
Face à une évolution du coût des risques, la lutte contre la fraude et la déperdition des prestations en général constitue un levier de rééquilibrage et de pilotage des régimes de prévoyance et de santé. Dans ce contexte, quelles solutions l’intelligence artificielle (IA) offre-t-elle ? Quelles sont les données nécessaires à leur mise en place et à la mesure de leur efficacité sur la santé des régimes ? La start-up Shift Technology a présenté son retour d’expérience en la matière lors d’un webinaire organisé le 11 avril par Galea.

Galea, conseil en actuariat, gestion des risques et data science, et Shift Technology, expert en détection de fraude basée sur l’IA, ont souhaité partager les enjeux de la maîtrise de la fraude pour les régimes santé et prévoyance ainsi que l’intérêt, en la matière, des outils basés sur l’IA, dans le cadre d’un webinaire.

Hausse du coût des risques et déséquilibre des régimes

Actuellement, les équilibres techniques des régimes de prévoyance et de santé « sont mis à mal », les équipes techniques « sont sous pression » et le pilotage des régimes « est compliqué », souligne Alexandre Eby, actuaire IA, manager assurance chez Galea.

Selon lui, les dérives en matière de coût ont des causes variées : elles résultent, en santé, des diverses évolutions réglementaires, avec le « désengagement de la Sécurité sociale », mais aussi de l’augmentation de certaines bases de remboursement ainsi que du vieillissement de la population. En prévoyance, entrent en ligne de compte un niveau d’absentéisme élevé et les conséquences de la réforme des retraites. Il faut également anticiper certaines mesures à venir : la hausse du tarif des consultations des généralistes, l’extension du 100% Santé annoncée, les différentes négociations en cours avec l’assurance maladie, les nouvelles annonces concernant le dispositif Mon soutien psy.

Conséquence de ces évolutions : lors des renouvellements 2024, des dérives assez élevées des coûts « ont dues être anticipées » avec « des taux pivots historiquement hauts l’année dernière, entre 8% et 12% en santé et entre 4% et 6% en prévoyance », ayant entraîné des résiliations et des remises en concurrence sur le marché.

Déperdition des prestations

C’est dans ce contexte qu’intervient le sujet de la « déperdition » des prestations, soit l’ensemble des prestations payées à tort par l’assureur, indique Alexandre Eby. Il ajoute que « la maîtrise de ce risque peut être vue comme un levier de rééquilibrage des régimes », l’enjeu pour l’assureur étant d’en identifier les causes pour mieux y remédier. Les sources de la déperdition sont variées : des anomalies de facturation, un mauvais paramétrage des systèmes de gestion de l’assureur et la fraude (commise par des assurés et des professionnels de santé).

Moyens de lutte contre la fraude

L’assurance maladie s’est saisie du sujet de la fraude et ses moyens de lutte sont continuellement renforcés (notamment par la dernière loi de financement de la Sécurité sociale). Les réseaux de soins prennent également des dispositions. Et pour les assureurs, plusieurs solutions existent pour maîtriser ce risque : se baser sur l’expertise métier et la connaissance du risque (contrôles a priori, indicateurs d’alerte), réaliser des audits, etc. Ces analyses peuvent être couplées avec des données externes (relatives, par exemple, à une création d’entreprise par une personne en arrêt). Autre possibilité : utiliser des solutions basées sur l’IA pour détecter de faux arrêts de travail, de faux devis en santé ou pour mettre en place des modèles de détection d’anomalies par apprentissage, poursuit Alexandre Eby.

Des solutions basées sur l’IA, l’expérience de Shift Technology

Shift Technology (ST) intervient dans la détection de la fraude a postériori mais également a priori, explique Paul-Antoine Ouazana, product manager. Pour cela, la société s’appuie sur des données fournies par les assureurs. Sur la prévoyance, « on va demander des données de prestations, de contrats, des informations sur l’entreprise et l’employé, des données financières liées au remboursement », détaille Alexandra Gautron, actuaire IA et senior data scientist chez ST. En santé, « on va pouvoir traiter de nombreuses données » dont parfois « un sous-ensemble de données de santé » qui pourront être de caractère personnel (date de naissance, numéro de dent, correction optique), structurées ou non. « Toutes ces données ont un caractère de criticité », la performance des outils étant liée à leur volume, relève-t-elle. Concernant le traitement des données « personnelles », « tout cela se fait avec les équipes juridiques », avec une « très grande rigueur », pour « s’assurer de la conformité avec le RGPD, IA Act ou autre », précise l’actuaire.

Les données sont vérifiées, ainsi que leur complétude, ST disposant d’un « data modèle propriétaire » qui permet « de rentrer des données avec des formats très hétérogènes et de les mapper dans des cases qui sont finalement le même data modèle pour tout le monde ». La qualité des données est « travaillée » grâce à différents algorithmes (nettoyage, reconstruction). Ces processus s’accompagnent de la mise en place d’un monitoring pour détecter le plus tôt possible tout biais. De la qualité de la donnée au départ dépendra le résultat à la fin. L’IA, les algorithmes, interviennent à toutes les étapes : prétraitement, détection (techniques de NLP, LLM et IA générative et OCR pour l’analyse de données de type textuel). Pour chaque cas d’usage, les dispositifs sont cadrés, explorés, évalués en termes de performance et le meilleur outil est développé chez le client, avec un monitoring en fin de parcours. Alexandra Gautron fait ensuite état de « difficultés d’apprentissage » des modèles. Dans tout le process, il est essentiel, selon elle, de faire attention à l’éthique et à la transparence des modèles.

Gains générés

Les gains générés sont évalués sur la base des retours clients et des économies potentielles (indus, évitement, dissuasion). En efficacité de gestion, « chaque alerte de suspicion levée est accompagnée d’un score, qui reflète le niveau de suspicion », ce qui « aide à prioriser les actions », explique Alexandra Gautron. Ensuite, « au sein d’une alerte, on a un tableau d’indicateurs qui résume les facteurs les plus prédictifs », complète-t-elle. Les alertes contiennent également une liste de consignes d’investigation. Au global, le gain de temps estimé est évalué entre dix et 30 minutes par jour pour un gestionnaire de dossier.

Rachel Brunet
Directrice adjointe des rédactions de la Presse sociale Lamy Liaisons