Dans cette perspective, en juin 2022, un rapport à la première présidente de la Cour de cassation et au procureur général près de la Cour de cassation est paru. Ce rapport étant nommé : La diffusion des données décisionnelles et la jurisprudence : Quelle jurisprudence à l’ère des données judiciaires ouvertes ?. Deux points à retenir :
- Le groupe de travail essaie de prévenir un des risques qui est l’indifférenciation. Il y a un travail de classification en amont laissant, en aval, la liberté pour les utilisateurs dans l’exploitation de l’intégralité des décisions.
- De plus, le rapport cherche à démontrer qui et comment il est possible de mettre en œuvre la mobilisation des décisions à l’ère de l’open data.
Ainsi, les legaltechs bouleversent l’écosystème juridique entraînant de nombreuses interrogations au sein des professions juridiques. Stéphane Noël, le président du Tribunal judiciaire de Paris, souligne notamment que, de nos jours, deux interrogations sont prégnantes :
- « Quelles seront les incidences de l’Open data sur la valeur de la portée jurisprudentielle des décisions de justices ?
- Quelles seront les modifications de l’office du juge et du rôle de l’avocat derrière ces questions ?»
Ainsi, Pierre Hoffman, bâtonnier de l’Ordre des avocats de Paris, s’interroge « si la notion même de jurisprudence va être reconsidérée en droit français ». Néanmoins, l’IA et l’open data ont également des bénéfices pour les fonctions juridiques puisqu’ils permettent une ouverture aux justiciables ainsi que de faire évoluer les pratiques juridiques avec la possibilité d’augmenter, de motiver les décisions.
La hiérarchisation des décisions des juridictions de fond
« À l’état brut, l’open data constitue, en effet, un gisement d’informations, certes, mais un gisement d’informations largement inutilisable, dans lequel se côtoie, de manière indifférenciée, la simple décision d’espèces purement factuelle, conclue en une instance » souligne Loïc Cadiet co-président du groupe de réflexion sur la diffusion des données décisionnelles et la jurisprudence. Un total pratiquement de quatre millions de décisions sont déjà présentes sur les plateformes contenant les décisions de juridictions de fond.
Cette perspective amène Loïc Cadiet à nous interroger sur « comment un contentieux sera transformé en jurisprudence, au sens qualitatif du terme ».
Sylvain Jobert, rapporteur du groupe de réflexion sur la diffusion des données décisionnelles et la jurisprudence, répond à cette interrogation en soulignant qu’il faut prendre en compte la hiérarchie des décisions en faisant une différenciation en fonction de la portée normative. Quatre points de hiérarchisation sont mis en évidence :
- Décision tranchant une question inédite dont, la rareté fait la valeur de la décision.
- Qualification ou interprétation nouvelle marquant une différenciation par rapport aux décisions antérieures de la juridiction.
- Question portant sur un débat jurisprudentiel.
- Contrôle de proportionnalité au regard des conventions ou, quand la question possède une certaine importance sociétale.
La présidente de chambre de la Cour de cassation, Sandrine Zientara-Logeay, indique l’importance de distinguer et valoriser les décisions des juges de fond ayant une portée jurisprudentielle afin de faciliter les recherches dans la masse de décision. Cela est important notamment pour les magistrats qui pourront limiter leurs recherches aux décisions présentant un intérêt juridique particulier.
La mobilisation des décisions de juridictions de fond par le prisme des professions juridiques
« Comment relever le défi open data en assurant ou préservant ses valeurs essentielles que ce soit l’intérêt de la justice, la bonne administration de la justice, l’intérêt des justiciables, la qualité de la justice rendue, de la décision rendue ? Comment garantir la sécurité juridique ? » nous interroge Cécile Chainais, co-présidente du groupe de réflexion sur la diffusion des données décisionnelles et la jurisprudence.
Selon Sylvain Jobert, le rapport ne recommande pas la mutation du nombre de décisions pouvant être utilisées par les avocats mais plutôt une approche qualitative dans le sens où une ou plusieurs singularités sont présentes. La conseillère à la cour d’appel de Paris et référente Open data, Rachel Le Cotty, indique qu’il faut mettre en avant quelques points de recommandations pour les avocats :
- La sélection: sélectionner les décisions ayant un intérêt particulier.
- La modération: les décisions des juges du fond sont extrêmement utiles mais il faut qu’elles soient raisonnables en quantité.
- L’organisation.
Grâce à cela on pourrait introduire du contradictoire et permettre également aux juges d’avoir accès à des décisions antérieures afin d’harmoniser leurs décisions. Effectivement, la mobilisation des décisions des juridictions de fond présente quatre intérêts majeurs au sein des tribunaux. Elle permet :
- Une amélioration de la qualité des décisions créant un dialogue des juges.
- De rassurer puisque parfois on peut être face à des questions inédites et cela permet ainsi de s’appuyer sur quelques éléments.
- De mieux appréhender une situation de fait.
- Une harmonisation des décisions.
Les magistrats ont également un rôle à jouer dans la mobilisation des décisions, toutefois, la conférence note qu’au sein de la profession des magistrats il n’est pas coutume de citer les décisions de fond. Sylvain Jobert met en évidence deux inconvénients si les magistrats citent les décisions :
- La standardisation des décisions de justice ainsi qu’un manque de motivation des décisions puisque cela pourrait amener à s’appuyer seulement sur des décisions antérieures.
Malgré tout, avec l’Open Data des décisions de justice, les juges peuvent s’apercevoir qu’une question de droit a déjà été tranchée. Jobert précise que « au regard de la confiance des justiciables dans la justice et bien le rapport envisage de renforcer et promouvoir auprès des juges du fond la bonne pratique pour bien motiver la décision : cette promotion passerait surtout par la formation tel qu’au sein de l’ENM ».