L’impact de la visioconférence sur le droit au procès équitable


L’impact de la visioconférence sur le droit au procès équitable
Un ouvrage des éditions Panthéon-Assas nommé « La justice pénale numérique en France et au Royaume-Uni » est sorti cet été sous la direction de Géraldine Gadbin-George, professeur à l’Université Panthéon-Assas, et de Akila Taleb-Karlsson, maître de conférences à l’Université de Toulou. L’objectif de cet ouvrage est de retracer « l’impact des nouvelles technologies sur les droits de l’homme à la lumière des droits nationaux et européens ».

Le présent article va ainsi s’intéresser plus spécifiquement à un chapitre de cet ouvrage consacré au « droit au procès équitable et à la visioconférence en droit constitutionnel français et en droit européen ». Ce chapitre a été rédigé sous la plume de Margaux Bouaziz, maîtresse de conférences à l’Université de Bourgogne. Le domaine de recherche de ce chapitre a été marqué notamment par l’arrivée de la pandémie de la Covid-19 qui a entraîné de nombreuses interrogations au sein des institutions que sont le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État telles que « la visioconférence offre-t-elle les mêmes garanties qu’une audience publique et en présentiel ? ».

Le droit au procès équitable, une double protection en droit français interrogée à l’aune de la visioconférence

Le droit au procès équitable bénéficie d’une double protection à la fois constitutionnelle par la jurisprudence développée à partir de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) mais également conventionnelle par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales (Convention EDH). Pour autant, ce droit au procès équitable semble interrogé par l’arrivée progressive de la visioconférence. L’autrice de ce chapitre commenté, Margaux Bouaziz, souligne que « ni la Constitution française ni la Convention EDH ne contiennent de dispositions spécifiques relatives au recours à la visioconférence » alors même que « la visioconférence a une influence sur plusieurs aspects du droit au procès équitable :

  • d’abord la question des droits de la défense et du caractère en soi défavorable de n’être entendu qu’au travers d’un écran ;
  • ensuite, le problème de l’égalité des armes si une seule partie est en visioconférence ;
  • enfin, la question du maintien du principe de publicité des audiences ».

Margaux Bouaziz nuance pour autant son propos en soulignant qu’un consensus semble exister entre les deux cours. Ces dernières considèrent que la visioconférence et l’audience « en présentiel » ne présentent pas exactement les mêmes garanties et qu’il n’existe pas actuellement une véritable ligne directrice « permettant de distinguer les éléments qui autorisent une restriction des droits des parties de ceux considérés comme portant une atteinte excessive à leurs droits fondamentaux ».

L’utilisation de la visioconférence au sein de la procédure pénale interroge également d’un point de vue symbolique. Cela avait été souligné au travers de l’utilisation par l’autrice d’une citation de Marc Janin. Ce dernier s’était interrogé sur « pourquoi on attache tant d’importance à l’architecture lorsqu’on construit un nouveau palais de justice, si ce n’est en raison de l’importance et de la qualité de représentation ? ». Ainsi, les droits, l’application des métiers juridiques dans la pratique mais aussi la symbolique et la solennité de l’audience sont mises à l’épreuve par l’arrivée de l’utilisation de la visioconférence dans le procès pénal.

Il est à noter que l’utilisation de la visioconférence s’est énormément développée depuis la Covid-19 entraînant une dématérialisation de la justice et permettant une simplification procédurale. Cette dernière semblait essentielle en période de pandémie afin de garantir une bonne continuité de la justice.

L’accessibilité à l’audience et la protection de l’intérêt général à l’ère de la visioconférence

Selon Margaux Bouaziz « la visioconférence peut faciliter l’accès à l’audience pour des parties qui ne pourraient pas y prendre part autrement ». Effectivement, il arrive que des parties ne puissent pas assister à l’audience. La Covid-19 a été le véritable laboratoire de toutes ces analyses et tous ces questionnements. Malgré tout, ce n’est pas seulement cette pandémie qui a posé ces questionnements puisque sont autant concernées les personnes se trouvant à l’étranger, celles dans l’incapacité de se déplacer pour motifs médicaux ou encore les personnes incarcérées. En permettant l’accès à l’audience la visioconférence peut être « considérée comme le moyen d’assurer le respect au procès équitable » puisque cela contribue « au bon déroulé du procès en rendant possible et facile d’accéder au prétoire pour les personnes en ayant été privées ».

La visioconférence est aussi importante afin de protéger l’intérêt général lorsque ce dernier est menacé. De nombreux intérêts publics sont mis en évidence lors d’une audience « en présentiel » tels que « le risque d’évasion, d’intimidation de témoins et de victimes, de représailles ». A titre d’exemple cela a été le cas lors de la pandémie de la Covid-19 ainsi que dans le cadre des affaires liées à la mafia. Pour ces dernières « la visioconférence est justifiée, car elle permet de tenir l’accusé considéré comme trop dangereux éloigné du prétoire ». Cela peut permettre de ne pas « intimider les témoins et les victimes ». Toutefois, il existe également « le coût lié au transfert » avec la « recherche de la bonne administration de la justice et le bon usage des deniers publics ».

Tout cela entraîne une question sur la « limite entre la protection de ces intérêts publics légitimes et le droit au procès équitable de l’accusé présumé innocent ». Dans cette perspective, l’utilisation de la visioconférence au sein du procès reste un « système embryonnaire ». Les décisions, la jurisprudence qui vont se développer permettront de faire évoluer les réflexions et limites à poser entre le droit au procès équitable et les questionnements gravitant autour de cette innovation technologique. Pour le moment, les critères ne sont pas encore explicitement définis, bien que les cours s’interrogent et interrogent les professionnels du droit. Il existe malgré tout une recherche constante des cours pour lier innovation et droit, poser des limites et critères concrets à cette innovation croissante.

Source : GADBIN-GEORGE G., TALEB-KARLSSON A., La justice pénale numérique en France et au Royaume-Uni. L’impact des nouvelles technologies sur les droits de l’homme à la lumière des droits nationaux et européens, Ed. Panthéon-Assas, Pensée contemporaine, 2024. La Justice pénale numérique en France et au Royaume-Uni | Université Paris-Panthéon-Assas (assas-universite.fr)

Alexandra Maldonado
Journaliste - Lamy Liaisons