L’IA nous rendra prospères


L’IA nous rendra prospères
L’intelligence artificielle (IA) est une révolution technologique incontournable qui affectera tous les domaines d’activité. Dans son rapport remis au président de la République le 13 mars 2024, la Commission de l’intelligence artificielle (Commission IA) formule 25 recommandations en vue d’accélérer l’engagement de la France sur cette nouvelle technologie, représentant cinq milliards d’euros sur les cinq prochaines années. Nous en détaillons ici les propositions relatives à l’emploi, l’évolution des métiers, la qualité de vie au travail et la formation.

C’est la prédiction de la Commission de l’Intelligence artificielle : l’IA augmentera la productivité globale de la France, mais son essor nous impose dans le même temps de réguler son usage par le dialogue social, de veiller à la qualité de l’emploi, ainsi que d’investir massivement dans la formation.

Le rapport présente dans ce sens des propositions concrètes permettant au gouvernement d’adapter la stratégie nationale de développement de l’intelligence artificielle (IA).

Il donne une vision optimiste globale des conséquences que produira l’IA sur notre société. Il alerte cependant sur le retard qu’accuse la France, et plus généralement l’Europe, en tant qu’acteur sur l’ensemble de la chaîne de valeur de cette nouvelle technologie : retard sur les processeurs graphiques, les centres de données, les modèles de fondation, etc. Il nous faut donc accélérer pour revenir dans la course de cette prochaine révolution technologique. Le champ du travail est naturellement fortement impacté.

L’IA tend à améliorer la productivité

C’est la certitude des membres de la commission, partant du constat que les premières utilisations de l’IA ont déjà démontré une hausse de la productivité.

Le rapport analyse notamment les conclusions d’une récente étude américaine1 qui a suivi les effets du déploiement de l’IA au sein du service client d’une entreprise (chat en ligne proposant des réponses générées automatiquement) : la productivité des employés ayant eu accès à l’assistant IA a crû de 25 %, dont 14 % dès le premier mois d’utilisation. D’autres études américaines, démontrent plus généralement que « que l’utilisation de ChatGPT permet une augmentation de la productivité des tâches typiques de ces métiers entre 25 % et 35 %. »

En France, une étude de Pôle emploi2 met également en avant un effet bénéfique sur la productivité : 72 % des employeurs recourant à l’IA mentionnent un impact positif sur la performance de leurs salariés, permettant notamment de réduire les tâches fastidieuses (63 %) ou le risque d’erreur (51 %).

Le rapport en déduit que « cela semble montrer que les gains de productivité sont observés au sein d’un panel de professions large, avec des niveaux de qualification différents ».

À la lecture de ces constats chiffrés, le rapport prédit que « les gains générés par l’IA augmenteraient significativement le taux de croissance de la France, estimé à 1,35 % par an à moyen terme. De tels gains de productivité pendant dix ans conduiraient à une hausse du PIB comprise dans une fourchette allant de 250 à 420 milliards d’euros en 2034, soit l’équivalent de la valeur ajoutée de l’industrie dans son ensemble ».

L’IA produit des effets plutôt positifs sur les emplois

L’effet sera positif sur le niveau d’emploi

L’analyse « empirique » de la Commission prévoit un effet positif de l’IA sur l’emploi dans les entreprises qui l’adoptent, car celle-ci remplacera des tâches, et non des emplois.

L’IA aura deux effets contraires sur l’emploi :

  • l’automatisation de certaines tâches du travail humain vers les machines tendrait à détruire certains emplois : c’est l’effet d’éviction ;
  • l’automatisation augmenterait la productivité des individus, ce qui conduirait à l’augmentation de la valeur des produits proposés par les entreprises corrélée à une diminution des coûts de production : c’est l’effet de productivité.

Les analyses de la Commission s’appuient sur deux enquêtes : celle réalisée en France par l’Insee sur la période de 1994 à 20143, et celle de l’Organisation internationale du travail4, d’août 2023.

L’Insee constate que l’emploi total des entreprises ayant adopté l’IA augmente davantage que dans les entreprises ne l’ayant pas adoptée, cet effet résultant principalement de la création de nouveaux emplois, plutôt que d’un maintien plus important d’emplois existants.

Cependant, cet effet de l’IA sur l’emploi n’est pas uniforme d’un métier à l’autre. En particulier, certains échelons au sein de l’entreprise ou certains métiers risquent de subir des réductions nettes d’emplois, notamment les emplois des professions intermédiaires administratives ou commerciales.

Ces résultats, souligne la Commission, ne suffisent pas à appréhender l’ensemble des effets potentiels de l’IA sur le marché du travail. Il lui semble « probable qu’une entreprise innovante qui adopte l’IA deviendra plus productive que les entreprises du même secteur qui ne l’adoptent pas, et que par suite l’entreprise innovante gagnera des parts de marché au détriment des entreprises concurrentes qui n’ont pas adopté l’IA ». En termes d’emploi, cela se traduira par une création nette d’emplois au sein de l’entreprise innovante au détriment des entreprises qui n’auront pas adopté l’IA.

En conséquence, sur le marché du travail dans sa globalité, les études suivant les effets de l’introduction des technologies d’IA dans les entreprises suggèrent globalement un effet positif de l’IA sur le niveau d’emploi.

L’effet est plus contrasté en fonction des types d’emplois

L’étude de l’OIT approfondit l’analyse des effets d’éviction et de productivité en s’intéressant davantage aux types d’emplois impactés. L’étude donne à chacune des tâches réalisées au sein de l’économie une probabilité de remplacement par l’IA : si une part importante des tâches qui constituent une profession peuvent être effectuées par l’IA, cette profession a un potentiel de remplacement par l’IA. En revanche, si une profession est composée de quelques tâches automatisables, mais d’une majorité de tâches difficiles à automatiser, elle a un potentiel d’amélioration par l’IA : l’automatisation de certaines tâches permettrait de libérer du temps pour d’autres.

Les études les plus récentes démontrent, selon la Commission, que dans l’ensemble du monde et y compris dans les pays développés, le nombre d’emplois ayant un potentiel d’amélioration par l’IA (13,4 %) est bien plus élevé que celui ayant un potentiel de remplacement par l’IA (5,1 %).

L’effet positif à long terme de l’IA sur les inégalités

Les effets de l’IA doivent être différenciés en fonction du type d’IA considéré :

  • l’IA non générative ou discriminative, déjà déployée, qui procède par apprentissage supervisé qui classe les données dans différentes catégories, est particulièrement performante à réaliser des tâches répétitives. Elle entraîne en conséquence la suppression des emplois constitués essentiellement de ce type de tâches (saisie de données, conception graphique, développement de logiciels, marketing, etc.). Les entreprises qui adoptent cette IA embauchent par la suite des profils plus diplômés et plus techniques, en particulier en faveur des emplois dits « STIM » (science, technologie, ingénierie et mathématiques). Ceci pourrait conduire à une hausse des inégalités, car ces profils complémentaires de l’adoption de l’IA ont des salaires plus élevés que la moyenne ;
  • l’IA générative, nouvelle génération d’IA, capable d’utiliser des modèles pour générer ou créer de nouvelles données, viendra, selon la Commission, pondérer ce déséquilibre, en bouleversant certains métiers de la connaissance, de la stratégie et de la créativité (médecins, enseignants, avocats, journalistes, artistes…), et en diminuant leur valeur.

Ainsi, l’utilisation des IA, qui permettrait aux emplois les moins qualifiés ou les moins productifs de produire les gains de productivité les plus importants, pourrait être un levier de renégociation à la hausse de leurs rémunérations, et réduirait ainsi les inégalités au sein des entreprises.

L’impact de l’IA sur la qualité de vie au travail doit être mesuré et régulé

La Commission estime que l’IA augmentera la qualité de vie au travail, y compris pour les travailleurs de la classe moyenne.

Sur le contenu du travail

S’il lui paraît certain que la majorité des métiers évoluera, par la suppression et la création des tâches qui les composent, la Commission constate qu’à ce jour, les gains de productivité bénéficient aux travailleurs les moins productifs : l’IA permettant de détecter et de corriger toutes les irrégularités des tâches automatiques qui lui sont confiées et d’en optimiser les temps de traitement, elle vient à la fois soulager le travailleur des tâches routinières et irrégulières, mais également améliorer la qualité de son travail.

Sur la complexité des tâches non gérées par l’IA

À l’inverse, estime la Commission, les systèmes d’IA pourraient introduire une surcharge mentale, qui mènerait à un épuisement cognitif, si le temps libéré par la machine se traduisait pour le travailleur par du stress et par une hausse excessive de tâches complexes.

Sur la santé et la sécurité au travail

Les avancées de l’IA ouvrent selon la Commission des perspectives intéressantes en épidémiologie et en accidentologie et des possibilités nouvelles de supervision d’un environnement de travail, d’un chantier ou d’un site industriel par exemple, notamment par le recours à la maintenance prédictive.

Cependant, elle pourrait également exacerber les risques psychosociaux, par le développement du « management algorithmique » qui engendrerait une perte d’autonomie au travail, une subordination déshumanisante à la machine, une surveillance excessive des travailleurs, un isolement des travailleurs et une perte du sens du collectif.

Sur les salaires

La Commission assume sur ce point son incapacité de prédiction, car si l’IA diminuera la valeur de certaines expertises, elle créera également de nouveaux besoins, afin de faire fonctionner ces nouvelles technologies et la nouvelle organisation de travail qui en découlera.

Aussi, dans ses recommandations nos 2 et 3, la Commission attire l’attention du gouvernement, sur la nécessité, d’une part, d’investir dans l’observation, les études et la recherche sur les impacts des systèmes d’IA sur la quantité et la qualité de l’emploi, et d’autre part de faire du dialogue social et professionnel un outil de coconstruction des usages et de régulation des risques des systèmes d’IA.

En conclusion, en matière d’emploi, estime la Commission, malgré les effets globalement bénéfiques de l’IA, il faut tout de même s’attendre à ce que certains métiers disparaissent ou voient leurs effectifs nettement réduits ; il est donc essentiel d’organiser l’accès et le développement de la formation initiale et tout au long de la vie.

Le développement de l’IA impose un fort investissement sur la formation

La Commission estime que les besoins actuels et à venir en IA nécessitent un vaste plan de formation pour tous et à tous les âges de la vie.

La formation initiale

Les entreprises investissant dans des compétences en IA embauchent davantage de profils plus diplômés et plus techniques, en particulier en faveur des emplois dits « STIM » (science, technologie, ingénierie et mathématiques). La Commission estime qu’il est nécessaire de calibrer l’offre de formation initiale aux besoins en compétence en IA d’aujourd’hui et de demain. En 2021, un rapport de la Cour des comptes5 estimait à 16 687 le nombre de places dans des formations spécialisées en IA au niveau bac +3. Pour répondre aux besoins en développement d’IA, la Commission estime qu’il faudrait donc au moins tripler ce chiffre au cours de la décennie à venir.

De manière plus générale, les filières informatiques dans leur ensemble devraient prévoir une augmentation de 25 % de leurs inscrits, pour répondre aux besoins de demain, portant le nombre d’étudiants de 16 000 à 20 000. La Commission pointe, notamment, la faible part des femmes au sein des diplômés des filières STIM (31 % en 2019), mais plus encore au sein de la filière « informatique et sciences informatiques » (19 % des inscrits en 2023).
Sa recommandation n° 6 vise donc à généraliser le déploiement de l’IA dans toutes les formations d’enseignement supérieur et acculturer les élèves dans l’enseignement secondaire pour rendre accessibles et attractives les formations spécialisées.

La formation continue

La Commission souligne que la formation professionnelle continue sera un outil indispensable pour faire face à la transition profonde des métiers que l’IA impliquera. Cependant, elle estime que le rôle de la puissance publique sur cet objectif devrait se limiter à accompagner les efforts des entreprises à la formation de ses compétences internes. Les entreprises auront a priori intérêt à former leurs salariés aux nouvelles compétences. Si elles ne le font pas, ou pas encore, c’est que le flou règne encore sur les enjeux de compétences et de formation professionnelle continue pour les métiers transformés par l’introduction de l’IA. Ce flou se lèvera, estime la Commission, progressivement. Sa recommandation n° 7 incite néanmoins le gouvernement à « investir dans la formation professionnelle continue des actifs et les dispositifs de formation autour de l’IA ».

Daniella Dellome
Rédactrice en chef adjointe, Semaine sociale Lamy