Une application du design thinking au droit
Importé des Etats-Unis le legal design est une application du design thinking au droit. Le design thinking est une approche de l’innovation, basée sur l’utilisateur et réalisée par itérations successives.
Comment rendre plus accessible le droit, matière complexe qui semble de prime abord réservée aux initiés ? C’est ici qu’intervient le legal design, selon Maître Caroline Laverdet, spécialiste en droit immobilier, qui a fondé welovedesign.com. Elle qui se dit passionnée de graphisme, qualifie le legal design de « technique de graphisme et de simplification du vocabulaire ». Et c’est ainsi qu’apparaissent dans les documents juridiques, icônes, cheminements colorés et pictogrammes. Mais « le legal design, ce ne sont pas que des images », corrige Maitre Laverdet. « Le visuel est secondaire dans le legal design », abonde Maitre Sophie Lapisardi, avocat, legal designer, qui a lancé son activité de formation chez Lexclair. « Les gens confondent le design et l’esthétique. Le legal design c’est bien plus que de la visualisation, par exemple, il ne suffit pas de coller des pictogrammes dans un contrat pour le rendre clair et accessible ».
Comment est-elle venue au legal design ? « J’ai senti que c’était le besoin de mes clients. J’ai eu le déclic en 2015 au contact d’opérationnels et d’élus. C’était par exemple un chef de chantier qui avait besoin que je lui explique les règles en matière de marché public de manière claire. Ou encore un maire qui me demande de lui synthétiser un dossier en une page pour son conseil municipal. »
Même combat pour Maître Laverdet qui pendant ses douze années d’exercice de droit commercial, s’est rendu compte que ses clients étaient nombreux à déplorer « ne pas comprendre la règle de droit, souhaiter davantage de transparence ». Pour plus de clarté, l’avocate a commencé à faire des dessins, des illustrations, des cheminements, des représentations de procédures commerciales comme l’expulsion. « Je me suis mise au legal design sans le savoir », sourit l’avocate qui est désormais une référence en la matière.
Se mettre à la place du client
Mais attention, pour mener à bien le legal design, il faut comme pour le design thinking, se mettre à la place du client. Il ne s’agit pas seulement de colorer des documents mais bien d’une remise à plat exhaustive des procédures et des modes de communication. Toutes deux rappellent que l’essentiel est de remettre l’utilisateur au centre de l’intention. Pour Maître Lapisardi, c’est l’empathie qui prime et donnera sa véracité à la démarche.
Quels sont les documents qui peuvent bénéficier d’une réécriture façon legal design ? « J’ai passé une grande partie des documents du cabinet en legal design », confirme l’avocate en droit immobilier. « Pour commencer, la convention d’honoraires, qui passe d’un maquis peu compréhensible en 3 pages de vocabulaire courant avec les mots importants en gras ». Les procédures, comme la procédure d’expulsion deviennent intelligibles, ainsi que les consultations juridiques. Plus étonnant, les conclusions, envoyées aux juridictions, séduisent aussi les magistrats « qui font de bons retours. C’est un élément supplémentaire de simplification, immédiatement intelligible pour le juge ».
Même un simple mail peut être réécrit dans un effort d’intelligibilité et de simplification.
« Un contrat qui n’est pas clair n’est pas un contrat sécurisant »
A trop simplifier, ne risque-t-on pas de passer sous silence ou de manquer des éléments de droit importants ?
« C’est un faux débat », avance maître Lapisardi. « Un contrat qui n’est pas clair, est-ce un contrat plus sécurisant ? Une rédaction alambiquée, des phrases très longues ne participent pas à la sécurité juridique. La clarté, la simplicité, c’est se mouiller, c’est ne pas se cacher derrière des termes ou des tournures trop compliqués. » Même son de cloche pour sa conseur : « le legal design, il faut le voir comme un plus, ça ne contrevient pas à la sécurité juridique. Les grands principes sont mis sous forme visuelle, mais rien ne doit être laissé au hasard ».
Pour les confrères qui hésitent à sauter le pas, transformer les documents juridiques en legal design prend de l’énergie, mais permet des économies substantielles de temps à la fin. « Un document bien réalisé prend du temps. Mais ensuite il est réutilisable pour une même procédure. Puis mes clients ne viennent plus me solliciter à plusieurs reprises pour me demander des informations, ils ont un document auquel se référer, c’est un gain de temps à l’arrivée.»
Une formation d’une journée peut suffire à acquérir les bases. Les directions juridiques sont les plus volontaires, davantage que les avocats et les autres professions juridiques. Quant aux compétences requises, il faut pouvoir se servir d’outils simples comme Canva. Ou pour les plus expérimentés, Adobe Design. Mais se servir d’outils sans en avoir le sens est inutile.
Les avocates expertes le répètent. A la base, c’est remettre à plat un schéma mental qui prime: « prendre en compte la façon de voir les choses du client est le cœur de la démarche, conclut Maitre Laverdet. Et proposer en retour des services adaptés, utilisables et attrayants ».