La revanche des compétences


La revanche des compétences
Chaque mois, le cabinet de conseil Sia Partners décrypte pour Liaisons Sociales la révolution IA et ses impacts sur les ressources humaines. Cette nouvelle chronique est signée par Guillaume Lavoix, Senior Manager RH & Transformation et Expert Digital RH chez Sia Partners.

Depuis plusieurs dizaines d’années les organisations privées et publiques ont initié des travaux de définition d’un langage commun sur les emplois et les compétences afin de mieux anticiper les transformations et éviter de subir les périodes de rupture. Les premières traces de démarches structurées remontent en France aux années 80. Dès 2005, l’obligation de négociation triennale d’une gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP — anciennement GPEC) de l’article L2242-20 du Code du travail a donné un nouvel élan à la prospective sur les emplois et les compétences.

Mais la définition même des compétences est un exercice fastidieux et lourd et qui demande de réunir des acteurs métiers et RH afin de trouver une convergence sur chaque concept. Historiquement le résultat de ces travaux de référentiels emplois/compétences a souvent été compilé dans des fichiers Excel et PDF volumineux. Peu d’acteurs ont réussi à déclencher une projection opérationnelle et dynamique des emplois et des compétences à l’échelle d’une organisation.

« CV parsing »

L’IA sous toutes ses formes permet d’envisager aujourd’hui l’analyse et la projection des compétences comme un exercice tout aussi stratégique qu’un projet de fusion/acquisition ou que la planification financière dans une direction générale. L’IA permet aujourd’hui d’industrialiser des activités qui ne pourraient pas être réalisées autrement : préqualifier automatiquement des candidats, proposer des offres d’emploi pertinentes, analyser des données du marché du travail, générer des propositions de référentiels de compétences.

L’extraction des données d’un CV ou « CV parsing » est une des plus anciennes applications de l’IA au domaine RH. Grâce à un entraînement sur de très gros volumes

de candidatures, les logiciels permettent l’extraction et l’analyse intelligente de ces données textuelles dans un système d’information. Cette technologie permet de sourcer plus efficacement les candidats en demandant à l’IA d’identifier les éléments clés de la candidature qui sont attendus pour le poste à pourvoir. Tous les recruteurs ayant des logiciels de recrutement récents, utilisent des formes de « CV parsing » plus ou moins évoluées et développées par eux ou par des partenaires tiers spécialisés. Une des plus anciennes sociétés toujours en activité est Textkernel, fondée aux Pays-Bas en 2001.

« Matching »

D’autres IA vont se spécialiser sur le « matching » d’un candidat interne ou externe à une offre donnée. Ces IA vont chercher à calculer des scores de correspondance qui pourront s’appuyer sur les compétences, la motivation des personnes et l’analyse de millions de parcours de carrière. Le segment des logiciels RH dit « Talent Marketplace » est au cœur du développement de ces IA car ils cherchent à mettre en relation de manière intelligente des collaborateurs avec les offres de mobilité interne disponibles. Deux sociétés françaises ont particulièrement percé en mettant la « donnée compétence » au cœur de leur offre de service : 365Talents (depuis 2014) et Neobrain (depuis 2018).

L’IA est également utilisée pour automatiser l’analyse des données du marché de l’emploi. Ces IA vont chercher à analyser des milliards de données disponibles sur les sites de recrutement en utilisant une méthode dite de « scraping » pour faire ainsi ressortir une proposition de taxonomie d’emplois et de compétences de manière dynamique pour des clients privés et institutionnels (OCDE, World Economic Forum, etc.). Deux sociétés sont à distinguer sur ce type d’IA : Lightcast (depuis 2001) et SkyHive (depuis 2017).

Organisation du travail centrée sur les compétences

Enfin l’IA générative telle que ChatGPT a un rôle clé à jouer dans l’industrialisation de ces démarches compétences. Elle est très utile pour construire vos premières propositions d’emplois et de compétences. Les équipes de la société française 360Learning ont par exemple récemment publié un démonstrateur de leurs capacités

à générer un premier référentiel d’emplois et de compétences quel que soit le secteur d’activité concerné en proposant une application disponible sur le GPT Store nommée « SkillsGPT ».

Au regard de ces différentes applications de l’IA, il est désormais possible d’imaginer une organisation du travail réellement centrée sur les compétences. Mais cela implique une transformation culturelle forte de la direction générale au collaborateur et la conviction commune qu’il s’agit d’un levier stratégique pour se rendre plus compétitif face à un marché de l’emploi toujours plus concurrentiel.

Guillaume Lavoix
Senior Manager RH & Transformation, Expert Digital RH chez Sia Partners