« IA vs RH » par Sia Partners : Les DRH à la manœuvre pour garantir une IA éthique


« IA vs RH » par Sia Partners : Les DRH à la manœuvre pour garantir une IA éthique
Les experts du cabinet de conseil Sia Partners décryptent pour Liaisons Sociales la révolution de l'intelligence artificielle (IA) et son impact sur les ressources humaines. Dans cette nouvelle chronique, Marie Bouny, docteure en droit, partner stratégie et innovation sociale, rappelle que les DRH jouent un rôle central pour garantir une IA performante et éthique.

L’intelligence artificielle (IA) révolutionne le fonctionnement des organisations et leurs ressources humaines (RH). Entre innovation, justice sociale et transparence, une question clé émerge : comment concilier régulation éthique et potentiel innovant de l’IA dans une ère d’hypertransformation ?

Cette tension met en lumière les opportunités économiques, sociales et environnementales de l’IA, mais aussi ses risques : biais algorithmiques, atteintes à la vie privée, précarisation des travailleurs, et impact environnemental.

Cette dualité impose aux DRH une responsabilité majeure : être les architectes d’une IA éthique qui respecte les droits humains, favorise un environnement de travail inclusif et protège les travailleurs, tout en restant compétitif.

Face à des mutations rapides des modèles économiques et du travail, la capacité à trouver cet équilibre déterminera non seulement la performance des entreprises, mais également leur impact social et environnemental.

I. Accompagner les transformations du travail et des pratiques RH face aux défis de l’IA

A. Le combat pour l’emploi

L’IA transforme profondément les processus de production et d’organisation. Selon l’OCDE (1), 14 % des emplois actuels pourraient disparaître d’ici à 2030 et 32 % verront leurs tâches transformées (2). Dans la maintenance, une étude longitudinale a illustré cette dynamique. En anticipant les anomalies (température, fluides, électricité, etc.) et proposant des solutions, les systèmes d’IA transforment les compétences des techniciens et réduisent les écarts entre les techniciens spécialisés (3).

Ces évolutions imposent aux DRH d’identifier les métiers en mutation et de piloter des programmes de reskilling et upskilling pour soutenir les travailleurs dans cette transition. Cela nécessite un dialogue social renforcé et un accompagnement des salariés. Dans ce contexte, la gestion des emplois et des parcours professionnels (GEPP) est un levier essentiel pour garantir que personne ne soit laissé de côté et se saisir des opportunités de réinvention (4).

B. La valeur de la transparence

L’IA promet des décisions objectives et performantes, mais elle n’échappe pas aux biais systémiques. En s’appuyant sur des données historiques, les algorithmes reproduisent souvent des discriminations existantes. Il y a quelques années, Amazon en a fait l’amère expérience en se rendant compte que le programme utilisé pour examiner le CV des candidats aux postes de développeur de logiciel et aux autres postes techniques les notait de manière sexiste (5). Mais n’oublions pas qu’aujourd’hui l’IA permet aussi des avancées majeures pour un recrutement plus inclusif lorsqu’elle est bien calibrée (6).

Il n’en demeure pas moins que les systèmes d’IA sont souvent perçus comme des « boîtes noires » (7) en raison de leur complexité et de l’opacité de leur processus décisionnel. Cette transparence est cependant cruciale pour répondre aux exigences du règlement européen sur l’IA (IA Act) qui repose sur une approche fondée sur les risques. Ce règlement classe les systèmes d’IA en quatre niveaux selon leur potentiel de dangerosité pour la santé, la sécurité ou les droits fondamentaux, allant des systèmes dits « à risque minimal » aux « risques inacceptables » (par exemple, ceux utilisant des techniques de manipulation subliminale) (8).

Les DRH jouent un rôle clé dans l’encadrement de l’usage de l’IA en entreprise exigeant des audits réguliers, garantissant la transparence des décisions algorithmiques, protégeant la vie privée des salariés et les formant aux bonnes pratiques. Cela permet de réduire les risques liés à l’IA (biais, fuites de données, non-conformité au RGPD, cyberattaques, etc.).

Pour clarifier et structurer ces actions, certaines organisations adoptent des chartes établissant des principes basés sur l’éthique, la transparence et le respect des réglementations. L’adoption de telles chartes gagnerait à être intégrée au dialogue social pour favoriser une meilleure appropriation collective.

II. Elargir la vision aux enjeux environnementaux et sociaux globaux

A. L’urgence d’une éthique environnementale

L’IA peut être un levier pour l’environnement. En optimisant les processus industriels, elle permet de réduire la consommation énergétique et les émissions de gaz à effet de serre. Par exemple, des algorithmes d’IA sont utilisés pour améliorer l’efficacité énergétique des bâtiments en ajustant en temps réel la gestion du chauffage, de la climatisation et de l’éclairage. De plus, en facilitant le développement de solutions innovantes, comme les systèmes de transport intelligents ou le suivi de la biodiversité, l’IA contribue à accélérer la transition écologique et à répondre aux enjeux du changement climatique.

Cependant, le secteur numérique, y compris l’IA, a également un impact environnemental notable. En France, le numérique représente 2,5 % de l’empreinte carbone nationale, une part légèrement supérieure à celle du secteur des déchets (9). Gardons en mémoire que les besoins en eau pour refroidir les centres de données sont colossaux et qu’une question posée à 1 IA générative comme ChatGTP consomme dix fois plus d’énergie qu’une recherche sur Google (10).

Face aux défis environnementaux, les DRH peuvent agir comme catalyseurs pour intégrer l’intelligence artificielle (IA) dans une stratégie écoresponsable. Une première démarche consiste à privilégier des outils d’IA à faible empreinte carbone. Ces stratégies doivent s’accompagner de formations pour sensibiliser les salariés à l’impact environnemental de leurs outils numériques. Objectif : ancrer des habitudes quotidiennes visant à réduire son empreinte énergétique (11).

En alliant adoption de technologies responsables, formation et promotion d’usages durables, les DRH peuvent devenir les architectes d’une « IA for Green » et d’une « Green IA », contribuant ainsi à la transition écologique de manière concrète et impactante.

B. Une justice sociale à l’échelle mondiale

L’intelligence artificielle, derrière ses prouesses technologiques, repose souvent sur le travail invisible de milliers de « tâcherons numériques » à travers le monde. Ces travailleurs, employés pour annoter des données ou entraîner des algorithmes, sont généralement précaires, opérant dans des conditions de travail difficiles et pour une rémunération modeste. Le contraste entre les bénéfices économiques générés par l’IA et les conditions de vie de ces contributeurs soulève des questions éthiques majeures.

Les DRH ont un rôle central à jouer dans la promotion d’une IA éthique à travers la chaîne de valeur. Une démarche concrète consiste à exiger des certifications responsables auprès des prestataires technologiques pour garantir le respect des droits des travailleurs numériques et une rémunération équitable. Et au-delà de l’obligation morale, cette démarche s’inscrit également dans les exigences de la directive CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive). La norme ESRS S2 (European Sustainability Reporting Standards) impose aux entreprises d’évaluer les risques et impacts liés aux droits humains et conditions de travail des travailleurs de la chaîne de valeur. En soutenant une justice sociale mondiale, les DRH contribuent à une IA respectueuse des droits humains et socialement responsable.

Pour une IA éthique dans une ère hypertransformation

L’IA offre des perspectives inédites, mais elle exige une vigilance éthique et environnementale. Les DRH, en tant qu’architectes de cette transformation, jouent un rôle clé pour garantir une IA performante et respectueuse des valeurs humaines. Leur capacité à concilier innovation et responsabilité est essentielle pour construire un futur durable et inclusif.

 

(1) Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), Perspectives de l’emploi de l’OCDE 2019 : L’avenir du travail, Éditions OCDE, Paris, 2019

(2) Mais l’impact de l’IA sur les emplois reste difficile à anticiper. Une multitude de facteurs influencent son adoption : les coûts, la rentabilité, les conséquences pour les équipes et les clients, mais aussi le contexte démographique, réglementaire et social. Ces éléments rendent toute tentative de projection incertaine (France Stratégie, Intelligence artificielle et travail, 2018, p. 3).

(3) LaborIA, Rapport d’enquête LaborIA Explorer, 2024, p.53.

(4) Cf. Organisation Internationale du Travail (OIT), L’impact de l’IA sur le travail et l’emploi, 2024, p.9.

(5) Quand le logiciel de recrutement d’Amazon discrimine les femmes | Les Echos

(6) Par exemple, des outils utilisent des jeux cognitifs anonymisés pour évaluer les compétences des candidats, réduisant les biais liés à l’origine ou au genre.

(7) From Black Box to Glass Box: Advancing Transparency in Artificial Intelligence Systems for Ethical and Trustworthy AI | Computational Science and Its Applications – ICCSA 2023 Workshops.

(8) Pour aller plus loin : Entrée en vigueur du règlement sur l’IA – Commission européenne ; Entrée en vigueur du règlement européen sur l’IA : les premières questions-réponses de la CNIL | CNIL

(9) Evaluation de l’impact environnemental du numérique en France et analyse prospective – La librairie ADEME

(10) Quels impacts de l’intelligence artificielle sur l’environnement ? Séance plénière en direct | Le Conseil économique social et environnemental

(11) Comment télétravailler léger ? – La librairie ADEME

Marie Bouny
Docteure en droit, partner stratégie et innovation sociale chez Sia Partners