« Don’t believe the hype ... » : La profession du Droit face à l’intelligence artificielle


« Don’t believe the hype ... » : La profession du Droit face à l’intelligence artificielle
Derrière la « hype » de l’IA générative (IA Gen) se dessine en réalité une intensification des exigences et l’impérieuse nécessité d’adapter corrélativement les compétences au niveau individuel et organisationnel.

L’effet Reine Rouge[1] de cette accélération technologique touche toutes les professions, l’usage démultiplié des systèmes d’intelligence artificielle, autorisé ou clandestin (en mode shadow AI), soulève des questions essentielles concernant la confidentialité et la protection des données pour toutes les professions du droit.

L’essor de l’IA Gen au-delà des promesses marketing en termes d’effectif en mode pensée magique, s’accompagne en réalité d’une perte de contrôle et de discernement que la réglementation peine à encadrer.

Si la technologie avance plus vite que notre capacité d’adaptation notamment en Droit, il convient cependant de penser le réel et de rappeler que derrière la hype se cache de l’informatique très classique, des logiciels, une infrastructure où l’exclusivité et la pertinence des données comptent plus que les applications.

Il s’agit donc principalement dans le domaine juridique de faire état plus prosaïquement d’algorithmique rapide ou avancé (des mathématiques et de l’informatique) et de masse de données/ informations/ documents à traiter.

L’apprentissage machine peut améliorer à la marge mais ne sera pas une méta-technologie transformatrice de nos professions du droit.

Le juge ou l’avocat IA n’existe pas, c’est une fake news : don’t believe the Hype, n’en déplaise aux vendeurs de mythes sur l’IA juridique, plus prompts à générer du cash que la révolution annoncée pour ses utilisateurs.

Les cas d’usage d’IA générative dans la profession d’avocat

Ces précisions faites, que peut faire l’IA Gen ?

Contrairement aux systèmes d’IA classiques[2], l’IA Gen permet de maîtriser du langage, d’une part grâce au mécanisme d’attention, introduit par Google en 2017, qui a révolutionné le traitement automatique du langage naturel[3] et d’autre part grâce à sa fonction caractéristique, celle de créer du contenu, en l’occurrence du texte[4].

Ainsi, dépassant la logique strictement prédictive à l’œuvre jusqu’alors dans les professions juridiques, notamment en matière d’aide à la décision judiciaire, l’IA Gen peut alors, si elle est adossée à un panel de données suffisamment large et qualitatif, « imiter le raisonnement du juriste en établissant des modèles statistiques à partir de sa base de données, dans une logique d’analyse des précédents »[5]. Le domaine du droit est donc perméable aux outils d’IA Gen[6].

En matière de rédaction juridique, l’IA facilite la génération de projets de contrat, de synthèses de jurisprudences ou encore de correspondances standard. Elle dynamise également la recherche documentaire et permet une exploration approfondie des textes juridiques, des lois et des décisions jurisprudentielles. Son utilisation est également prisée en matière de traduction juridique de documents complexes, de synthèse et d’analyse de grandes quantités d’informations (extraire les principaux points de dossiers volumineux, etc.). Pour finir, l’IA peut devenir un outil prédictif dans la pratique juridique, analysant des scénarios juridiques probables selon des cas antérieurs et contribue à orienter les stratégies contentieuses.

Les IA génératives sont en train de devenir un produit d’appel de base, mais comme le rappelle Yannick Meneceur, être convaincant n’est pas être juste : « si le langage produit ressemble très fortement à du langage juridique, une IA générative n’est pas un moteur de connaissance, ni un moteur de recherche »[7].

Il s’agit d’un « chalutier »[8] qui draine des informations dont la fonctionnalité principale est de générer du contenu assez banal et sans relief.

En termes d’avantages, il est toutefois possible d’identifier plusieurs impacts principaux de cette « langue des probables » :

  • le gain de temps et d’efficacité gagné par l’automatisation des tâches répétitives ou à faible valeur ajoutée permettant alors aux avocats de se concentrer sur des aspects bien plus stratégiques sur leurs dossiers (avec par exemple le speech to text (transcription audio vers du texte), l’automatisation de veille juridique, le résumé, la comparaison de versions, l’assistance à rédaction, etc.) ;
  • la réduction des coûts opérationnels, car le temps consacré à certaines tâches serait réduit voire induirait la suppression de certains postes (notamment de stagiaires, de collaborateurs ou encore de juristes)[9]. Un rapport de l’organisme bancaire Goldman Sachs, publié en juillet 2023, estime que « 44% des tâches juridiques effectuées » dans un cadre professionnel pourraient à terme être effectuées par des solutions d’IA.

Le vrai défi : humaniser le temps gagné… L’IA Gen ne remplacera jamais l’intuition, la contextualisation, l’art oratoire et la relation humaine dans toute sa complexité.

S’il ne s’agit alors de ne voir dans l’IA que d’une commodité ou produit de base pour rechercher, rédiger et résumer, gardons toujours en perspective et pour seule boussole ce qui fait l’honneur de notre serment : l’humanité, le secret et la loyauté.

 

Post Pascal Alix : https://www.linkedin.com/feed/update/urn:li:activity:7297187660626849794/

[1] France Charruyer, L’accélération technologique et le défi du Shadow GenAI : l’effet reine rouge, revue Expertises, 2025 : https://www.altij.fr/detail-actualites/detail-actualites-public/lacceleration-technologique-et-le-defi-du-shadow-genai-leffet-reine-rouge

[2] Certains auteurs opposant les systèmes d’IA classiques et les systèmes d’IA générative a contrario de la division classiquement retenue entre IA symbolique et IA connexionniste. Voir en ce sens Alban Progri, Albane Eglinger, Xavier Carsin, IA et droit social : vade-mecum de l’employeur, Semaine Sociale Lamy, nº 2124, 2025.

[3] Hub France IA, ChatGPT : usages, impacts et recommandations, Note de synthèse, 2023.

[4] CNIL, Les questions-réponses de la CNIL sur l’utilisation d’un système d’IA générative, 2024.

[5] Christophe-André FRASSA, Marie-Pierre de LA GONTRIE, Rapport d’information sur l’intelligence artificielle et les professions du droit, Sénat, 2024.

[6] Ibid.

[7] Yann Meneceur, L’IAG pour les juristes. Oui mais avec précations, Interview, Revue Expertises, 2025.

[8] Ibid.

[9] https://www.precisement.org/blog/Intelligence-artificielle-en-droit-derriere-la-hype-la-realite.html

France Charruyer
Avocat associée chez Altij & Oratio Avocats