Alors qu’il est aujourd’hui « quasi inexistant », le dialogue social en matière d’IA doit se développer afin de permettre une intégration vertueuse de ces outils numériques au sein des entreprises. Telle est l’idée qui ressort d’un manifeste rendu public le 7 janvier par l’Ires (Institut de recherches économiques et sociales) dans le cadre du Projet Dial-IA, soutenu par l’Anact (Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail ; v. l’actualité nº 19135 du 3 oct. 2024). Sa rédaction a impliqué un grand nombre de participants et a été pilotée par quatre organisations syndicales (CFDT, Ugict-CGT, CFE-CGC, FO-cadres). Il a également été signé par la CFTC. « Il est urgent d’équiper les acteurs pour les aider à se remettre en capacité de dialoguer et créer les conditions pour réussir ensemble ce nouveau virage de la transformation numérique des entreprises et des organisations », souligne le manifeste dont la publication s’est accompagnée de la mise en ligne de plusieurs outils principalement destinés aux représentants du personnel et à l’activation d’un « dialogue social technologique » (https://dial-ia.fr/).
Une urgence à faire de l’IA un objet de dialogue social
« La période actuelle est marquée par une montée en puissance sans précédent de l’IA » qui impacte de plus en plus d’activités et fait naître des « craintes au travail, au premier rang desquelles la remise en cause ou la disparition du travail humain et de nombre d’emplois », constate le manifeste. Mais, selon ses auteurs, il est possible de mettre en place des systèmes d’IA vertueux, respectant les droits fondamentaux comme ceux de la protection des données, et « garantissant que l’humain prend toujours la décision ». En ce sens, il est nécessaire d’associer toutes les parties prenantes de l’IA, dans le cadre d’un dialogue « au niveau interprofessionnel comme dans les entreprises », en partant d’un état des lieux des activités déjà concernées pour en évaluer les transformations.
Or, pour l’heure, un constat s’impose : le dialogue social sur l’IA est presque inexistant et n’est prévu ni par les textes européens, ni par la réglementation nationale. Les représentants du personnel sont peu associés aux réflexions sur les impacts que peuvent avoir de tels outils. L’IA pourrait être abordée dans le cadre de l’information-consultation des représentants du personnel, mais ce n’est pas le cas faute « de motivation des directions et des représentants du personnel, mais aussi, trop souvent, par manque de maîtrise des technologies qui vont être mises en place par ceux en responsabilité de les introduire ». De même, ce thème n’est que rarement abordé dans les orientations stratégiques des entreprises ou dans le cadre de la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences.
Pour que le dialogue social soit pertinent, il est nécessaire de favoriser une prise de conscience de l’impact des systèmes d’IA sur les compétences, l’emploi et l’organisation du travail à tous les niveaux (salarié, manager, direction, usagers, etc.), selon le manifeste. Il faut aussi adapter le dialogue social à l’IA en lui permettant de « sortir d’une approche statique » et d’agir avant, pendant et après l’introduction des outils, avec la possibilité de revenir sur les décisions prises.
Une IA au service de l’organisation du travail et du partage de valeurs
Les systèmes d’IA répondent aux tâches correspondant au travail prescrit, sans prendre en compte la complexité et les nuances qui donnent du sens au travail. Ce constat fait craindre aux auteurs du manifeste que ces IA deviennent « des contraintes supplémentaires pour les travailleurs pouvant contribuer à la perte de sens, voire conduire à l’obsolescence humaine ». Ils estiment que les impacts de l’IA sur l’organisation et les conditions de travail sont sous- estimés, voire ignorés. Selon eux, « le solutionnisme et le déterminisme technologique conduisent à penser l’IA du point de vue de l’adaptation des organisations à la technologie », alors que la logique devrait être inverse. En effet, « l’IA donne des possibilités de recentrer l’activité humaine sur des tâches valorisantes en réduisant les tâches répétitives et doit constituer un levier important de valorisation de la contribution humaine au travail », souligne le manifeste.
Par ailleurs, l’importante création de valeur générée par l’IA bénéficie principalement aux fournisseurs d’IA et à ceux qui collectent et valorisent les données. Mis à part quelques « acteurs dominants », les utilisateurs de l’IA, y compris les petites entreprises, n’ont pas les moyens d’en tirer profit. « Il est temps de construire le partage de la valeur créée dans les entreprises et organisations qui recourent à l’IA », estiment les auteurs du manifeste. Selon eux, l’intelligence artificielle ne doit pas viser que la rationalisation économique, la productivité et la réduction des coûts. Elle doit respecter des règles loyales d’affaire et permettre le développement de solutions servant l’intérêt général.
Le Cese appelle à la conclusion d’un ANI sur le déploiement de l’IA en entreprise
Partageant également l’idée que « le dialogue social joue un rôle crucial dans le déploiement de l’IA en entreprise », le Cese (Conseil économique, social et environnemental) a formulé plusieurs recommandations dans un avis adopté le 14 janvier, dont celle pour les organisations syndicales et patronales de négocier un ANI (accord national interprofessionnel) visant à garantir un déploiement maîtrisé et en adéquation avec les besoins identifiés. L’accord devrait permettre aux branches professionnelles et aux entreprises de négocier sur les modalités prédéfinies par l’ANI et en particulier : d’impliquer les travailleurs dans la conception des systèmes d’IA pour s’assurer qu’ils répondent aux besoins réels et créent des opportunités d’amélioration ; d’intégrer les enjeux de mixité et de diversité depuis la phase de conception jusque dans la finalité des usages ; d’assurer un dialogue social continu pour aborder les préoccupations et trouver des solutions adaptées (Cese, avis « Pour une intelligence artificielle au service de l’intérêt général », 14 janv. 2025).